jeudi 27 mai 2010

Camilla en bikini

les nouvelles chroniques de l'homme

mon rédacteur en chef est-elle

jalouse de Camilla en bikini ?

épisode VI

Rendez-vous au GloptTronic pour une séance de courts métrages organisée par Fuji. Chaque mois, une sélection de films sortant des laboratoires. En me rendant aux séances du GlopTronic, j’aimais cette impression de me plonger dans la tête des femmes et des hommes qui font le cinéma aujourd’hui. Je vivais en France, à Paris, dans un microcosme minuscule très difficile à pénétrer. Normalement, les gens de cinéma ne communiquent pas entre eux. Ils nagent dans un réseau, donnent des coups de coudes, de pouces, en dessus et en dessous de la ceinture. L’altérité de l’autre est perçue soit comme un empêchement, soit comme un tremplin. Pas d’autre alternative. Sauf au GlopTronic justement que j’aimais bien fréquenter pour le buffet de hasard après la projection. J’y avais parfois découvert de bons films, un ou deux vrais réalisateurs, en notant ensuite des adresses mail et des numéros de téléphone.

Mais jamais auparavant aucune rencontre amoureuse.

— Je t’en prie ! ne dépasses pas deux feuillets ! m’avait dit le rédacteur en chef. Nous sommes lus sur Internet, don’t forget ! Cantonne-toi à une seule anecdote, my dear boy. Avec un début, un milieu, et une fin. Get it, small brain ?

Mon début : Camilla, vingt-six ans, blonde, assistant-réal à Canal Plus, et des yeux pétillants comme les bulles de Champagne dans les verres sur le buffet campagnard après la séance. Il paraît que les hommes ne se dévoilent pas assez dans la presse féminine, alors mon rédacteur en chef, qui est une femme par ailleurs, m’avait sélectionné pour ça : parce que j’aimais bien me dévoiler, comme une femme, sans pour autant oublier que j’étais un homme. Et cet homme regardait Camilla évoluer parmi la foule compacte des spectateurs pour atteindre le bar tout en cuivre du GlopTronic.

— Comment faire pour l’atteindre ? me disais-je. Cette fille est trop parfaite. Trop jeune. Trop fringante. Tellement belle. Inaccessible…

Je traînais de nombreuses casseroles derrière moi après mon divorce. Ce qui expliquait ma tendance à me dévaloriser sans raison apparente, car au fond, l’homme qui observait Camilla était encore intéressant. Cheveux longs, lunettes noires, deux enfants en bas âge, je m’identifiais au personnage du Père dans Mon Voisin Totoro de Hayao Miyazaki, à tel point qu’un jour je rencontrai une femme qui rêva de moi volant dans le ciel main dans la main avec elle, comme dans un épisode de ce film.

— Attention, concentre-toi sur l’essentiel ! Une seule anecdote à la fois ! me répétait mon rédacteur en chef.

Je parlerai plus tard de Sabrina Andrea Modinacelli…

Juste à côté de moi, il y avait une grande rousse avec une veste rouge. Une productrice probablement.

— Avez-vous vu les courts métrages du début ?

Comme j’étais arrivé en retard, ma question était légitime. Mais cette rousse voyait très bien où je voulais en venir. En répondant vaguement oui de la tête, elle chercha son téléphone pour envoyer un sms. Devais-je lui lancer : Alors, aucun message, vraiment personne pour venir vous sauver et vous donner une contenance ? Mais je fermais ma gueule. Comme elle tournait la tête vers moi, je tentai une seconde chance.

— La comédienne dans l’avant-dernier film était vraiment sensasse, pas vrai ?

— Je le pense aussi, répondit-elle sèchement.

Puis elle fendit la foule jusqu’à l’autre bout du GlopTronic afin de mettre le maximum de distance entre nous. La goujaterie de cette femme était inutile. Je ruminais en faisant la moue quand Camilla s’approcha alors de moi. En plongeant mes yeux dans les siens, car cette nana me regardait vraiment, oui, je m’accrochais au bar pour ne pas tomber. De toutes mes forces. C’était exactement mon volume : cent soixante centimètres, fine, des seins minuscules que les hommes rêvent d’embrasser pendant des heures. Cela faisait des mois que j’avais oublié le contact d’une peau contre une autre peau, l’odeur délicate d’une personnalité plutôt qu’une autre. Le spectacle de Camilla, son espièglerie à portée de mains, tournée vers les hommes comme sur elle-même sans forcément se prendre pour Queen Victoria, était insensée. Voire insoutenable dans ma situation. Malade d’amour chaque fois qu’une femme croise mon chemin, comme Pierre dans la série des Pokémons qu’adorait mon fils l’année passée. Dans la série, chaque fois que Pierre rencontre une femme, elle est déjà prise. Malade d’amour, le cœur brûlant, je tentais de garder mon sang-froid en lui adressant la parole. Camilla me répondit à la volée parce qu’elle était curieuse, joueuse, courageuse, féminine et intuitive. Comme sous l’effet d’une douche bienfaisante, mon cœur se détendit en une seconde. Cette musique me plaisait terriblement, pleine de bienveillance. Camilla s’intéressait à moi, vraiment ? Sa voix était un baume capable de soigner n’importe quel symptôme, pansant mes plaies d’ours blanc solitaire. Nous parlâmes ainsi un bon moment, puis un réalisateur qu’elle connaissait, qui avait fait un film avec Jeanne Cherhal pour Canal Plus, que je n’avais pas aimé, s’approcha de nous.

— Tiens, Camilla, qu’est-ce que tu fais là ? fit-il.

— Rien. Je vois des films. Je bavarde… Et Juliette, comment va-t-elle ?

Il venait de se séparer de Juliette.

— Redonne-moi ton numéro, il faut qu’on se voie. Tu fais quelque chose cette semaine ?

Camilla, après m’avoir demandé de tenir son verre de vin, sortit son agenda. Puis le mec s’en alla et tout recommença entre nous comme si de rien était. Apprendre à accepter ce qui arrive, ou ce qui n’arrive pas. C’était les mots de Camilla, en bikini au bord de la piscine, pour décrire le concept de cool attitude qui était le sien depuis des années. Mais cette phrase tournait en boucle dans ma tête : Tu n’as pas besoin de forcément construire une suite d’un épisode à l’autre de ta chronique. Je me souvenais de ce que m’avait dit mon rédacteur en chef. J’étais le scaphandrier au fond de la piscine, raclant le fond de ma mémoire pour écrire. Cette impression ne me quitta plus de la soirée.

Le bruit des casseroles et ces putains de fers aux pieds. Surtout devant sa porte au moment de nous embrasser pour nous dire au revoir.

— Dans cette rue déserte du 9e arrondissement de Paris, tu es enfermé dans ta vie comme dans un roman de Scott Fitzgerald, fit le scaphandrier devant la porte de Camilla.

Traînant ses lourds socques de plomb sur le trottoir, il était venu jusqu’à nous, jusqu’ici, devant la borne à vélos rue de la Tour d’Auvergne… Mais c’était aussi mon rédacteur en chef qui venait de lire mon papier. Elle était embêtée.

— Je ne sais pas…

Elle hésitait.

— Quatre feuillets… Je trouve que c’est trop long. Deux, je t’ai dit ! DEUX !! Tu vas faire un effort à la fin ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse de ça, moi ?

Je regardais le bout de mes chaussures sous la table dans le café.

— Tu veux un conseil, ajouta-t-elle ?

Les yeux mouillés, rempli d’espoir, comme un chien, je relevais la tête vers elle. J’avais dévissé mon casque de scaphandre, je l’avais sous le bras.

— Ne te laisse pas guider par ton écriture…

Maintenant qu’elle n’était plus filtrée par le verre de mon casque, par l’œil du scaphandre, je voyais cette flamme intense dans les yeux de mon rédacteur en chef. Cette fureur dans ses yeux me terrorisa. Comme si elle allait brusquement m’arracher les couilles, elle ajouta :

— Et puis merde à la fin ! tu vas l’enlever ton costume de caoutchouc puant ? Ça fait du bien, non, tout cet oxygène ? Ça fait du bien de respirer comme ça à l’air libre ? Tu la sens la différence ?

Mon rédacteur en chef est jalouse de Camilla en bikini.

2 commentaires:

  1. ouais ....ça se secoue et se lit tout doux... j'aime... sur l' "aire " du temps... salut jerome...je part glisser sur les poutres.

    chaud seb

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  2. C'est bien le Seb de Monchoisi ? Bon voyage… Merci pour le commentaire qui me prend à la sortie d'un colloque Jean Baudrillard au quai de Branly. Autrement dit, en sortant de la Matrix. JOM

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