mercredi 10 octobre 2012

Prière de l'artisan au XVIII siècle


APPRENDS-MOI, SEIGNEUR, A BIEN USER DU temps que tu me donnes pour travailler & à bien l’employer sans rien en perdre. Apprends-moi à tirer profit des erreurs passées sans tomber dans le scrupule qui ronge. Apprends-moi à prévoir le plan sans me tourmenter, à imaginer l’œuvre sans me désoler si elle jaillit autrement. Apprends-moi à unir la hâte & la lenteur, la sérénité & la ferveur, le zèle & la paix. Aide-moi au départ de l’ouvrage, là où je suis le plus faible. Aide-moi au cœur du labeur à tenir serré le fil de l’attention. Et surtout comble Toi-même les vides de mon œuvre : : Seigneur, dans tout labeur de mes mains laisse une grâce de Toi pour parler aux autres & un défaut de moi pour me parler à moi-même. Garde en moi l’espérance de la perfection, sans quoi je perdrais cœur. Garde-moi dans l’impuissance de la perfection, sans quoi je me perdrais d’orgueil. Purifie mon regard : quand je fais mal, il n’est pas sûr que ce soit mal & quand je fais bien, il n’est pas sûr que ce soit bien : Seigneur, ne me laisse jamais oublier que tout savoir est vain sauf là où il y a travail. Et que tout travail est vide sauf là où il y a amour. Et que tout amour est creux qui ne me lie à moi-même & aux autres & à Toi : : Seigneur, enseigne-moi à prier avec mes mains, mes bras & toutes mes forces. Rappelle-moi que l’ouvrage de mes mains t’appartient & qu’il m’appartient de te le rendre en le donnant. Que si je fais par goût du profit, comme un fruit oublié je pourrirai à l’automne. Que si je fais pour plaire aux autres, comme la fleur de l’herbe je fanerai au soir. Mais si je fais pour l’amour du bien, je demeurerai dans le bien. Et le temps de faire bien & à ta gloire, c’est tout de suite : : Amen : : 

d'après un fac-similé de Daniel Botti, foto2.fr

vendredi 7 septembre 2012

REAL SEX

JOM. — N'aurais-tu pas un nom de réalisateur, quelqu'un à qui faire lire ce que j'écris ? ROMAIN. — Nous venons de tourner un film sur Vincent Van Gogh. JOM. — J'adore Vincent Van Gogh ! Romain. — Ah bon ? Jeancé, c'est lui que j'aimerais te présenter ! Moins d'un an plus tard, c'est le tournage de REAL SEX, une série pour la télévision française, qui débute fin août 2012 à Paris, produite par Romain Guilbert et réalisée par Jean-Cédric Rimaud, avec ANDRE S. LABARTHE, Jil Milan, Doug Rand, Bastien d'Asnières, Christian Girault, Alexendra David, Lena Loussam, Charlotte-Rita Pichon, Salomé Mpondo-Dicka, Pascale Obolo, Solène et Laure Carrale, et Vanessa Aiffe 

ELISE. — Les morts ne remplissent pas ce vide entre nous, comblé au moment de nous revoir, et Dieu sait s'ils sont nombreux, les mots et les morts.

Prochaine session de tournage à la fin du mois de septembre.  

samedi 25 août 2012

Lettre de Charles-Henri Favrod

Voilà plusieurs années que je connais Jérôme Roniger. Je le découvre ainsi poursuivant sa recherche avec brio et opiniâtreté. En effet, il sait la vertu de l'insatisfaction et va de l'avant, étape après étape. 

Il possède de solides connaissances littéraires et cinématographiques. Je ne l'ai jamais surpris en défaut et, s'il y a incertitude, il s'applique aussitôt à la combler. Son écriture ne cesse de s'améliorer et de lui être propre. Il a aussi pour lui l'imagination qu'il maîtrise et contrôle. 

C'est une tête bien faite, lucide, qui maintient le cap et touche le but. Il se donne un itinéraire à chaque fois et ne s'y tient que s'il considère qu'il va son train. 

Séparé de sa femme, il se préoccupe excellemment de l'éducation de ses deux enfants. 

A l'égard de ses expériences visuelles, je me félicite parce qu'il y introduit la surprise. Je suis dans l'étonnement et c'est dire qu'il innove. Je suis tenté de dire qu'il m'a souvent stupéfié. C'est une très grande vertu de créer la perplexité. Ce qu'il entreprend actuellement avec REAL SEX m'intrigue. Et j'en attends beaucoup parce que l'entreprise va être différente de ce qu'il a fait jusqu'ici et que ce sera, devra beaucoup à la réflexion qu'il y a mené. Jérôme Roniger est pour moi un interlocuteur très roboratif. Il est habité par l'énergie. 


CHARLE-HENRI FAVROD
à St-Prex, samedi 25 août 2012
premier directeur du Musée de l'Elysée à Lausanne
producteur de Le Chagrin et la Pitié 
rediffusé ce mardi 10 juillet 2012, sur ARTE

http://www.swissinfo.ch/fre/culture/Le_role_positif_de_la_colonisation_Incongru!.html?cid=4882356 

mardi 10 juillet 2012

REAL SEX, note de lecture


CHF avec Robert Frank, à Lausanne, en 1987 [photo de Jean Dieuzaide], à la grande époque du Musée de l’Elysée, qu'il dirige de 1982 à 1996.

St-Prex, le mardi 10 juillet 2012

Bien cher Jérôme, 

pardon d’avoir tardé à t’écrire mon sentiment. Mais j’ai été emporté par le flux verbal, par ce torrent qui empêche de s’immobiliser et de faire le point comme on voudrait. D’autant plus qu’il y a récit et donc réactions au propos, mais l’un arrache à l’autre. Pour parler net, je suis déconcerté. Tu manifestes une puissance d’écriture qui convainc, mais il y a toujours volonté de rupture. Et l’on se trouve à cours d'eau, à se dire qu’il faut revenir sur ses pas pour bien comprendre, pour être sûr d’avoir compris, pour se rasséréner d’intelligence, pour partager l’analyse qui suit son cours, mais d’une manière si tourmentée qu’on en sort un peu ahuri et déconfit. Ce sentiment de ne pas avoir tout saisi et donc le malaise. Oh ! je sais bien le malaise, tu sais le pratiquer et qu’y recourir participe de l’ensemble. Je me sens en retrait et, reprenant le texte, je ne retrouve pas toujours ce que j’y ai d’abord trouvé. Elise est-elle un chat ? Je n’en suis pas convaincu. Elle me paraît aller dans tous les sens et de ce fait le sens fait un peu défaut. Au termes des cinq épisodes, je m’interroge. Mais j’insiste aussi sur mon admiration pour le flux du propos, ce monologue plutôt qu’un dialogue. Tu parles, tu parles et, comme je l’ai dit, on est emporté en fétu. C’est après tout ce que tu as voulu et donc réussi. Sache que tu me troubles profondément. Il est vrai qu’à ce que tu dis, il faut ajouter les images. Et, sans doute, alors, tout devient clair et limpide.


Tiens-moi au courant de l’avancement du projet filmé. Et, à bientôt, pour être intelligible.

CHARLES-HENRI FAVROD


P.S. : Sais-tu qui prétend posséder les droits du Chagrin ?

samedi 26 mai 2012

SMS à Daniel, 6h08

JOM. — Le hasard n'est pas une mauvaise herbe, mais un arbre de vie, gigantesque et magnifique, le hasard… Dans Mon voisin Totoro,  Hayao Miyazaki dessine cet arbre, il en fait son portrait. Suivre les branches de cet arbre gigantesque, qui embrassent la terre entière et tout l'univers, au hasard, et je ne suis jamais perdu. Toujours sur la bonne route, puisque c'est la mienne. Je le sens  sous mes mains qui se saisissent de lui, la plante de mes pieds pour marcher, dans ma bouche qui a soif, sur ma langue plus avisée que moi, il me nourrit — le hasard est ma nourriture, mon corps et mon sang aujourd'hui, ce matin, toujours… Pourquoi ai-je mis tant et tant d'années à le comprendre ? Le hasard est un arbre, je suis un oiseau, chanter est mon destin. 


Réponses par SMS :

EDWIGE, chanteuse de rue. — Merci ! C'est très beau.
DANIEL. — C'est beau.
HOLDEN. — Bonjour Jom ! On dirait que tu as fait de sacrés beaux rêves…



SOLENE. — Merci pour le chant du moine haut ! C'était une chance pour moi de travailler une heure de plus —  exactement ce que je voulais ! —, mais je ne l'ai pas saisie. [Smiley Confus.] Bonne journée ! A bientôt j'espère !
VILLIERS. — Le hasard, pour moi, n'existe pas. « Il n'est de trouvailles que retrouvailles », dit Sigmund Freud.
HASSINA. — J'ignore qui vous êtes, merci de ne plus m'envoyer de texto à 6h00 du matin.

jeudi 24 mai 2012

Lettre de Daniel

Lausanne, lundi 21 mai 2012

Jérôme, tu avais raison, je n’avais pas à m’entremettre dans ta vie, je ne suis plus neutre, j’ai un avis tranché comme tu dis. Je suis l’arrogant qui vient te donner des conseils, le donneur de leçon en trop.


Depuis un long moment, un mur t’entoure. Peut-être pour toi, ce n’est pas un mur, mais un vide, l’espace d’une mer inconnue sur laquelle tu mènes ta barque et qui nous éloigne. Hélas pour moi, c’est quand même un mur infranchissable, même s’il n’est pas fait de briques mais d’air.

Tant que nous parlons sur un niveau intellectuel superficiel, tout va bien. Dès qu’on entre dans notre vie respective, c’est-à-dire la tienne, puisque la mienne te laisse indifférente, tu éclates de rage. Qui peut encore t’approcher ? J’ai cru étant ami et proche de ta famille, que j’avais encore un accès privilégié en toi. J’ai appris tristement que non. La porte est fermée, peut-être, n’y a-t-il même plus de porte. Alors j’ai poussé une dernière fois, une porte improbable, une fenêtre cassée, un rien dans ce vide que je ne comprends pas, c’était la dernière occasion, unique ou jamais. Et puis, le choc. Il y a eu un bref face à face entre nous, digne d’une querelle stupide entre des voisins d’immeuble stupides pour une histoire stupide.

Le choc était pourtant réel et irréversible. Et quand il y a choc, des fragments de vie s’envolent. Ce sont des images jusqu’à présent cachées dans un tout obscur qui se libèrent. Ces images apparaissent soudainement et éclairent une réalité invisible. Ce sont, je crois, les images dernières. Elles sont particulièrement fortes et claires. Elles ne sont pas la réalité elle-même, mais elles en parlent directement. Qu’elles soient vraies ou fausses, ce n’est plus la question. Ces images sont. Ainsi, j’ai eu une image de toi.

Je l’ai saisie et esquissée en rentrant à la maison. Elle est là maintenant, écrite avec un geste délivrant dans une langue étrangère pour moi. J’ai hésité à te la transmettre. Pourquoi finalement ? C’est mon image, pas la tienne. Tu ne dois absolument pas y adhérer.

J’ai décidé de la soumettre lâchement, tel un billet qu’on glisse sous la fente de la porte fermée de son voisin. Aujourd’hui cette fente s’appelle boîte email. Je déteste en abuser, mais quelque chose me pousse à le faire comme m’a poussé quelque chose à dépasser la limite à Paris. Cela sera la dernière fois.

Je te vois comme un mendiant. Non pas un mendiant de la rue, le sans–abri dégoûtant qui pue l’alcool et qui crache des sales mots, mais un mendiant post-moderne, contemporain. Un mendiant éclairé. Un homme charmant au sourire vrai. Un mendiant cultivé, et comme tous, pressé et absorbé dans un permanent processus créatif. Un mendiant qui depuis vingt ans que je le connais vit d’une main à l’autre, d’une aumône à l’autre. Un homme qui n’a jamais voulu, ni pu gagner tout seul sa vie. La main salvatrice a toujours été pour toi celle de l’Etat français. Cette main sociale de la grande France t’a nourri modestement. Il y a eu aussi ta famille et tes proches qui t’ont soutenu. Encore aujourd’hui tu es un mendiant de ta mère et un mendiant de ton ex-femme qui est en train de s’exténuer. Il est même possible que tu seras mendiant de tes propres enfants un jour. À chaque main qui te tient, te nourrit et te donne des gifles occasionnellement, tu en veux terriblement. Tu es le roi des relations amour-haine. Ce qui est assez logique. Il est détestable de se faire aider et de dépendre de quelqu’un quand on aspire à la plus grande liberté. Ton ex-femme, ta mère et soeur ont toutes connu éloges et attaques grotesques de toi, alors que sans elles, ta situation serait bien pire, c’est-à-dire, impossible à vivre. Ainsi, la situation avec ton ex-femme (dois-je dire : ex-copine ?) est devenue insoutenable, mais t’a permis au moins de vivre ta vie.


Ce qui est toxique n’est pas le conflit. Que se soit le conflit d’appartement, le conflit d’argent ou le conflit d’un autre objet et sujet. Ce qui est toxique est le malentendu. Tous les malentendus que toi, tu génères constamment, propages expressément autour de toi. L’affaire du studio est ainsi emballée de tant de malentendus comme d’autres histoires qui sortent de ta boîte. Tu ne fais rien pour les réduire, les enlever, les clarifier. C’est ta stratégie à gagner le combat. Tant qu’il y a des malentendus en suspense, tu es dans l’avantage. Mais le climat autour de toi, je l’ai senti et d’autres personnes le sentent également, devient d’année en année plus toxique.

Je me permets aujourd’hui de te dire tout ce que je pense, je sens que c’est la dernière fois. Je ne te fais aucun procès. J’ai envie de raisonner sur quelqu’un qui m’a été très cher et dont le mal a dépassé mon acceptation. À plusieurs fois, je t’ai vu déraisonner, déraper dangereusement dans ta rage. Depuis que je te connais, j’ai connu l’irascibilité en toi. Elle t’habite comme ton doux rire et ton intellect rapide. Mais je constate que l’irascibilité s’empare de plus en plus de toi et le rire se fait vite grinçant en toi. Tu fais peur, Jérôme. Je ne reconnais plus celui que j’ai connu.

Au fond, je t’adore. Tu es un personnage romanesque avec forcément une dimension tragique, sorte de figure prométhéenne contemporaine en brouille avec la démesure du capitalisme devenu un fou destructeur. Zeus se fâche, le provocateur hurle méchamment et doit pousser chaque jour sa pierre littéraire sur la pente.

Heureusement, il existe des hommes comme toi, aujourd’hui.

Et puis, le mendiant est dans nombreuses religions et voies spirituelles un homme mystique et noble. Le mendiant, c’est celui qui a l’âme pure. Puisqu’il ne possède rien d’autre. Il a le temps pour lui seul et son âme pousse telle une fleur dans son temps libre. À l’opposé toute personne qui travaille pour de l’argent, qui perd son temps, se compromet et finit par avoir une âme corrompue quelque part. Moi inclus.

Les saints ont tous été de (très) riches mendiants à leur manière. Mais quelles exceptions ! Des exceptions, puisque le peuple ne pourrait jamais devenir chacun un mendiant, seulement un grand mendiant collectif. « Gagnes-toi, ton pain toi-même », dit la Bible fortement. Cette devise, j’ai fini par l'accepter tant bien, tant mal que je puisse.

Le mendiant individualiste prend sûrement le chemin de croix le plus dur qui existe. Il est certainement plus difficile et plus humiliant que celui d’un peintre ou d’une bijoutière comme nous, qui sommes aussi de simples commerçants. Donc, ta reconnaissance est forcément retardée et tu peux l’oublier, je pense, jusqu’au dernier moment. Ta rivalité acharnée avec une seule femme sur terre et avec quelques autres figurants, probablement avec moi aussi, est juste pathétique. Tu as choisi ce chemin depuis longtemps parce que tu veux monter très haut et entrer dans l’amour absolu. Peut-être parce que tu portes avec ton nom l’habit d’un vieux saint.

Seulement, comme tu montes plus haut sur cette échelle céleste à cordes balançant, si par déséquilibre tu tombes, tu tombes plus bas que les autres. Ta souffrance due au choc est aussi plus grande et se répercute sur tes proches.

Le dimanche 13 mai 2012, au moment où ton fils a mis son premier pas sur cette échelle divine, tu étais monté plus haut que nous tous. Nous t’avons regardé avec notre œil intérieur. La tension est montée. Trop de regards invisibles se sont posés sur toi, trop des pensées t’ont acclamé, trop de mains à ongle arrondis ont secoué l’échelle. Le ciel bleu clair sans le moindre nuage dans lequel tu t’es confondu avec tes propres habits était si électrique que tu es tombé. Depuis la transcendance d’un bleu céleste à la plate solitude, au sol, dans une ombre vert noir.

Ton SMS une semaine avant notre départ à Paris était le signe annonciateur. Je l’ai senti intuitivement et je ne pouvais y répondre. Ton message ne nous souhaitait pas la bienvenue à Paris, mais me demandait sèchement de l’argent pour payer notre hôtel… Et il profitait de l’occasion pour vite émettre un autre malentendu, celui de s’être fait avoir à l’époque par le notaire.

Je crois au fonds, tu n’avais aucune envie que je vienne, que nous venions à Paris tout en nous demandant par politesse ou obligation dans un mail extracourt de venir. Tu t’es déjà imaginé le spectacle invisible, sous-jacent et pitoyable qui allait se produire entre toi et les diverses femmes de ta vie. Un acte de théâtre qui ne pouvait que te dépeindre dans une lumière cafardeuse.

La scène a eu lieu comme prévu derrière le rideau. Il s’est entrouvert pour moi durant un instant seulement et il m’a suffi de voir. Puis silence, tu as disparu.

Moi qui ai voulu te retrouver quand tu t’es éclipsé au parc sous un arbre sans laisser aucun signe, au milieu d’une foule parisienne, j’ai vu soudain et par hasard, l’énorme désarroi dans ton visage, ton désespoir mis à nu. J’ai aperçu cet homme enragé qui gesticulait avec une main impérative et dure, j’ai entendu cette voix surchauffée qui sifflait dans la froideur d’un micro mains-libres, j’ai imaginé le démon qui t’a piqué juste avant et j’ai surpris cette personne agaçante qui diabolise depuis des années la femme de ses enfants et son ancienne famille d’hôte. C’est cette femme pourtant qui t’a offert le plus grand cadeau que jamais une personne avait pu te faire, qui sont vos enfants.

Puis, j’ai senti sur ma propre chair ce vent irritant qui me méprise en passant et me diabolise quand il veut, cet esprit tordu qui se moque de tous parce qu’ils sont différents de lui. J’ai entendu les huées de ce colérique échoué pris dans sa douleur et j’en avais peur. J’étais effrayé de toi. Pas blessé, car tu n’es pas un méchant ni un pervers, mais quelqu’un qui se fait mal à lui-même. Quelqu’un qui magouille avec la réalité et à qui cette réalité trop énervée renvoie des coups au visage. Je tremble encore de ton éclair de menaces presque inaudibles de suicide avec enfants, entre deux phrases, qu’elles soient réelles ou irréelles.

Je t’ai appelé un abruti et un égocentrique. J’espère le regretter un jour.

La journée était magnifique, le repas en famille exceptionnellement réunie était magnifique ! Ta chute dans cette sombre existence était d’autant plus bouleversante.

Je me suis dit que ton déraisonnement que j’ai entendu à travers ta rage est peut-être la meilleure purification d’âme, signe d’une infinie noblesse.

J’ai encore envie de te dire une chose. Si toi, poète écrivain que j’ai (re)connu avant d’autres, tu continues à mépriser et insulter des personnes qui ne sont pas comme toi, comme un pauvre mendiant, cela signifie que tu n’acceptes pas leur différence. Non. Tu n’acceptes pas encore ta différence face à eux. Un écrivain est né pour être insulté, c’est la règle du jeu, mais non pas pour insulter les autres. À toi de choisir. Tu comprends ?

J’estime le moqueur fabulateur en toi, mais pas celui qui insulte gratuitement…

Si tu n’arrives pas à accepter ton vrai rôle, abandonnes ton chemin de croix et empruntes un autre plus facile, plus normal, au moins pour un certain temps. Ou alors, vis ton chemin jusqu’au bout. Avec la joie de monter plus dans l’amour et le risque de tomber plus bas dans le désespoir.

Mais à partir de ce jour, le 13 mai 2012, première communion de ton fils, ton chemin sera plus étroit, plus dangereux encore. Il n’y aura plus de place pour tes vieux amis comme moi, assez peu pour ta famille éclatée, et je pressens dans le futur, toujours moins pour tes enfants. Tu y seras plus seul. Seul et déconnecté de la réalité, seulement connecté à la réalité via Internet.

Si je pouvais échanger tous tes mails collectifs contre une seule vraie rencontre amicale et profonde avec toi, même s’il elle aurait lieu une fois tous les cinq ans seulement, je le ferais immédiatement. Mais tu as choisi autrement. Nous sommes tous devenus tes lecteurs spectateurs attribués. Amis, famille, connaissances, inconnus ou ennemis, n'étant que des adresses électroniques impersonnelles, nous sommes tous placés sur des mêmes sièges abstraits dans un théâtre virtuel, pour assister sur ta commande à la mise en scène de ta propre figure.

Comme tu as dit toi-même, c’est un chemin plus courageux, certes. Mais moi, c’est comme ça, je n’ai pas envie de te suivre dans cette aventure du monde virtuel et je préfère te dire good-bye et sortir à l’air frais.

Donc, j’ai cette impression sincère que notre amitié te freine, te dérange, te compromet seulement dans cet (ultime) cheminement. Tu as coupé les amarres de ton passé depuis un certain temps déjà. Et notre amitié s’est dégradée lentement.

Elle a arrêté respirer bêtement ce beau jour de soleil. J’aurais envie de dire par amour.

Ciao, Daniel

P.S. : Je te joins encore une icône que j’ai découverte dans l’un des plus anciens monastères chrétiens, Sainte-Catherine, au pied du Mont Sinaï en Egypte. L’échelle céleste du mystique Klimakos.

samedi 28 avril 2012

Lettre à Christine Boisson

Paris, Belleville, samedi 28 avril 2012 — Chère Christine B*, ci-joint les premiers épisodes de notre série intitulée REAL SEX. Le tournage des épisodes 0 et 1 est prévu fin juin, début juillet. […] Tu ferais un duo intéressant avec EVELYNE DIDI qui tient le rôle du psy dans la série, MADAME CHEREAU, mais le SPY est-il une femme ? Celle que j’ai admirée hier soir dans Tokyo Bar ? Est-ce un homme tel que ANDRE S. LABARTHE qui est un ami depuis vingt-cinq ans ? Il y a vingt-cinq ans, tu me rappelais Christine pour ce court métrage intitulé Lausanne-Palace, avec Terzieff dans la distribution. Revenons au spectacle hier. J’aime surtout la première partie, la fin n’est pas la bonne, à mon humble avis, tordant le sens de la pièce ou, du moins, son interprétation. Celle que je m’en fais en tant qu’écrivain et amateur de Tennessee. Pourrais-je stp en parler avec toi ? Il s’agit de la fragilité de ton personnage, de son amour pour Mark, et de son besoin compulsif de tout maîtriser. Mark n’est pas réduit à son impuissance sexuelle, ni sa déchéance. En tant qu’homme et en tant qu’artiste, je ne crois pas que Mark ne soit qu’une épave. Il est au contraire un ovni, un cosmonaute sacrifié par la puissance de son génie, de ses visions, son courage, mais surtout par le pragmatisme de la femme qu’il aime passionnément. En rivalité avec lui, ce pragmatisme est un piège qui les sépare. D’ailleurs, ce pragmatisme nuit également à Miriam. Cette femme en est consciente, elle aussi. Ce détail n’est–il pas émouvant, qu’en penses-tu Christine ? Cette pièce magnifique, épurée, est emblématique. Plus loin, la question du cerce de lumière, prépondérante bien sûr, se donne littéralement dans la mise en scène, avec un projecteur, alors que cet aspect étrange du texte devrait s’éclairer, se travailler sous l’angle de ton personnage. C’est le vieux fan, réactivé dans la seconde hier soir, qui te parle ce matin. Christine, tu joues merveilleusement, ta voix, tes façons, ta présence. Alors oui, ne m’en veux pas si j’ose t’en demander plus encore.  La mise en scène est certes brillante et efficace, mais elle n’émane pas d’un artiste qui, je cite de mémoire, met sa vie en jeu, comme l'écrit Tennessee. Routiniers des officines post-culturelles, le metteur en scène et le traducteur ne sont que de brillants bureaucrates, tout comme Philippe Adrien qui dirige la Tempête. Tokyo Bar me hante autant que tout ce que j’écris. Tu comprendras de quoi je parle en lisant Des mains comme des crabes sur le corps de ma voisine, qui est une nouvelle, puis REAL SEX. Le SPY entre en jeu dans l’épisode 3, au moment d’un repas chez l’ANALYSTE, madame Chéreau. C’est une vieille amie du père d’Elise, JOEL, interprété par PASCAL GREGGORY qui surgit, de biais, dans l’épisode 0. Cet épisode n’existe que sous forme d’ébauche aujourd’hui. […] Réalisation, Jean-Cédric Rimaud. Production, Romain Guilbert. Distribution, Evelyne Didi, Greggory, Eriq Ebouaney, Vanessa Aiffe. Musique, Camille, Jean-Louis Murat. Chef opérateur, Gordon Spooner qui débute aux Amandiers en 1981-83, peut-être l’as-tu déjà croisé ? A bientôt, car j’aimerais revenir te voir à la Tempête. Jeance — Jean-Cédric Rimaud — est un homme absolument unique. Tu vas l’adorer. Vous êtes fait pour vous entendre. JOM

jeudi 9 février 2012

Ma vie au poulailler (je n’écris pas avec les gens)


LES NOUVELLES CHRONIQUES DE L'HOMME, EPISODE 11Mon Dieu, quelle soirée horrible au Théâtre de l'Aquarium, direction François Rancillac — J'étais désespéré, et exprimant ce désespoir, je heurtai quelqu’un dans le public, la sensibilité d'un inconnu. L'homme m'attendait à la sortie : son uppercut du droit, par surprise en pleine gueule, me projette à terre. Mes lunettes s'envolent à dix mètres sur la pelouse de la Cartoucherie, dans l'obscurité de la forêt faisant décor.

— Je ne suis pas Stéphane Orly, ni personne du spectacle, mais tu m'as insulté, connard… A ce titre, maintenant, tu vas payer !

L’homme était bien plus grand et plus costaud que moi. Quelqu'un s'interposa bravement :

— Laisse-le, c'est assez comme ça…

Mais l’autre persistait à me courser comme un lapin :

— Ta copine s’est barrée, hé ! Pauvre type !

Je ne savais plus si je devais en effet foutre le camp, ventre à terre, ou retourner dans l’écrin du théâtre, au foyer de l’Aquarium supporter encore ce calvaire des Arpenteurs, le titre du spectacle auquel nous venions d’assister, sur plus de deux heures trente, dans lequel nous baignions tous au savon cuit du cynisme. Comment interrompre notre course-poursuite dans l’obscurité d’une crise dictée par les richards via les médias, pour nous asservir et s’enrichir davantage ? Comment oser me replonger dans la vie d'un spécialiste des dossiers culturels, vêtu d'une chemise bariolée, crachant crânement dans la soupe sur scène ? « Le temps du spectacle = remplir du vide ! », avions-nous lu, Mallorie et moi, sur un carton découpé, à la Brecht, promené sur scène par l'auteur. La bureaucratie faite art, avec de belles phrases, bien pensées, parfois même historiques, mais sans état d'âme. « Du cynisme à l'état brut, me disais-je, pour bien nous laver les oreilles ! »

J’étais épuisé par des années de labeur et d’insuccès, je n'en pouvais plus, mais je devais me tirer des sales pattes de cet inconnu :

— Tu vas me le payer, payer, hurlait-il comme une locomotive, tu vas me le payer ! Ta copine s’est barrée, barrée, tu aurais mieux fait de lui coller aux basques !

Puis l’homme éclatait de rire, après chacune de ses répliques, en soufflant des jets de vapeur brûlante. Longtemps nous courûmes ensemble dans la forêt. Ses insultes, les grognements sensuels de la Créature, caressaient mon échine pour La réveiller en moi :

Fils de pute, connard, je te ferai la peau, connard, la peau !

En effet Mallorie, mon amoureuse depuis des mois, s'était soudainement volatilisée… Que devais-je faire ? Dans quels bras me réfugier ? J'avais franchi la ligne. Mallorie, elle aussi, m’avait prévenu plusieurs fois. Sauf le coup de point dans la gueule, ce n’était plus une surprise, mais un cauchemar : rejoindre le martyre de Martin Luther King et John Lennon, celui de Luca, un copain de mon fils, treize ans, qui s’était pendu dimanche dernier, tel serait mon lot ce soir. Bientôt à l’image des parents de Luca, dévastés, délavés, anéantis sous le joug des événements, réduits en poussière, il ne restera rien de mon corps, ni peut-être de mon esprit. Une taupe avec ses petites griffes ne ferait pas autrement dans la terre meuble. Je n’écris pas avec les yeux. Rien, la ligne noire de la forêt, le vide, je fulminais, je préparais ma dernière prière en me souvenant des mots de Laurent Terzieff qui me précédait dans l’au-delà :

— Pour jouer, il faut posséder la force de conviction. Car l’acteur n’a qu’une seule loi : convaincre.

La soif de vivre me rappelait toutes les pages de son foutu bouquin pour occuper l’Autre pendant que je sauvais ma peau :

— La mise en scène, c’est peut-être une question de virilité : être seulement acteur a quelque chose de trop féminin ! hurlai-je dans le vide.

Abandonnant soudain la course, la rage de mon adversaire se tarit aussi mystérieusement qu’elle s’était enflammée, j'étais sauvé…

— On ne devient pas libre en passant par le compromis, il faut décider d’être libre d’abord, conclut l’Hermite de la rue du Dragon, me souriant page 80, en Poche, tiré à des millions d’exemplaires.

Devant la porte, l’homme fumait une cigarette, tranquillement, avant de rejoindre la chaleur du foyer et le bar de l'Aquarium, sans doute, où l'accueillerait, après les plaisirs de la chasse, un bon verre de rouge marié à un sandwich-club dégueulasse, vendu une fortune. Maintenant hors de danger, je reprenais mon souffle. J’ interrogeai l'un ou l'autre des témoins de la scène. Un comédien pensait la même chose que moi, mais il ne le dirait jamais :

— Pardonnez-moi, le spectacle auquel nous venons d'assister est affligeant, oui, j’en conviens, mais je vais jouer pour Rancillac en janvier. Que voulez-vous ? Je ne puis alors que me taire…

En nous voyant discuter ensemble et afin d’éviter de me saluer, sa meuf accéléra le pas vers la navette gratuite. C’était la soirée des meufs qui se barrent en déplorant l’attitude détestable des mecs. L’angoisse montait : Qui était donc cette brute, avec une barbe, un cuir sur les épaules chauffant ses biceps pour me faire la peau ?

— Ce n'est pas quelqu'un du spectacle.

Le type, par ailleurs avenant, ne prenait pas autrement parti sinon en me donnant cette information.

— Je le sais, puisque moi je suis du spectacle, ajouta-t-il sobrement. L’ai jamais vu traîner ici auparavant… Sais pas qui c’est…

Prenant mon courage à deux mains, je décidai de rejoindre l'enfer. Pour la seconde fois ce soir, je poussai encore la porte du théâtre. Fendant silencieusement une foule compacte d'où Elle jaillirait, encore, je La cherchai le cœur battant, la Créature ! Quelqu'un tapa sur mon épaule derrière moi. C'était une vieille comédienne, Sarah Chaumette :

— Es-tu fou ? Comment oses-tu revenir ?

Il faut savoir qu'à l'époque où nous travaillions ensemble, Sarah tournait dans un court métrage que je réalisais. Ma faute avait été de ne sélectionner aucun gros plan sur elle. François Chaumette, son père, aurait-il ainsi reconnu sa fille ? Monique Chaumette, sa tante, et Philippe Noiret, son parrain — ou Michel Piccoli ? —, auraient-ils enfin aimé le petit cheval roux dans la famille, ruant dans les brancards ? Dans un milieu où l'ego est roi, le sacrifice froid de sa descendance est d’un usage courant, l'auteur sur scène nous l'avait précisé. Claquant les talons de ses mocassins, passant la rampe sur scène, c'était l'un des affreux chapitres de son message : « A bas les enfants, ils nous emmerdent ! »

— S'il te plaît Sarah, pas maintenant, veux-tu ? rétorquai-je en me tenant l'épaule droite, meurtrie dans ma chute, qui me faisait mal, rêvant à un massage de nuque impossible sans ma copine pour me remettre d'aplomb.

— C'est une insulte au comédien ! hurla Sarah dans mon dos, tenant dans ses bras la femme éplorée ayant quitté le costume d'écureuil (sic) qu'elle avait sur scène.

—… Un costume de carnaval, à deux sous, que Brecht n’aurait pas endossé, sinon cousu main et puant la carne d’une meute anéantie, songeai-je en les abandonnant à leur triste sort.

C'est alors qu'Elle apparut, la Créature, accoudée au bar…

— Je te prie de m'excuser, mec ! lançai-je timidement, de loin, pour tenter de recoller les morceaux.

— Je les accepte, fit-Elle laconiquement.

— Alors nous sommes quittes, vraiment ?

La dialectique diabolique de l’auteur, ferait-elle finalement de moi, pauvre fou désespéré, qu'une seule bouchée ? Je croyais me rapprocher lentement du bar, mais en réalité je stagnais dans des sables mouvants. Tout le monde aurait eu de bonnes raisons pour dire avec des mots choisis que c'était de la merde, mais mieux que son précédent spectacle ! Que faire, où aller parmi cette absence de foi, d'engagement, qui vilement remplaçait une foi en soi antidépressive et aliénante ? L’homme sirotait un drink en bavardant avec une amie. Tandis que je me fondais dans la masse, je reconnu la comédienne principale qui s’approchait de nous. Au lieu de me sermonner, comme je m’y attendais, comme tous les autres, celle-ci s'accrocha au cou de la Créature qui jubilait en ronronnant. Le chevalier au service de sa dame ! J'éclatais de rire en découvrant le pot aux roses, la grande dame du spectacle, qui se lovait contre lui. Elle lui léchait le visage amoureusement. D'un air détendu, en me parlant à la dérobée entre deux baisers, le vieux fauve savourait sa victoire :

— Dieu nous regarde, bébé…

Ses yeux n'étaient plus rouges comme tout à l'heure, mais d'un bleu profond incommensurable.


Il est épinglé sur le mur, au-dessus du bureau. Un proverbe tibétain, bénéfique et très puissant. Ces mots pour me tirer d’affaire maintenant. Le temps est une abstraction à laquelle personne ne devrait se fier. Un beau jour, c’est le moment, sans révision possible — hey ! — le présent — il est dans ton cul — connard !

dimanche 22 janvier 2012

Le brouillon d'une définition, n° 1

« Je suis le nouvel homme, et après Marcel Proust, Haruki Murakami, Billy Wilder, Emily Brontë et William Shakespeare, c'est le concept de Gender fiction qui m'intéresse. J'écris dans ce cadre-là après Judith Butler. Je suis masculin, féminin, et pas seulement mon sexe… », fait le blog-miroir entre les mains de l'écrivain aux rayons Jouets, Amours & Compte en banque. C'est la théorie de l'homme et de la femme, et inversement : être une femme, un homme, sont des rôles que la vie semble nous forcer à endosser. Notre identité, notre intimité, sont au-delà. Le Gender fiction tente plusieurs rôles, des inversions, afin d'éclairer les différences, même infimes, dans tout ce qui nous semble répétitif et seulement immuable sur une échelle des générations dessinant une croix : en haut, les grands-parents, en bas, les enfants, et au centre, cette abstraction que sont l'homme et la femme. Ouvrant paradoxalement le champs des possibles, notre rapport à l'enfant détermine et confirme cette abstraction. Gender fiction, une femme faite homme pour danser, rivaliser avec lui, et inversement.