mercredi 10 octobre 2012

Prière de l'artisan au XVIII siècle


APPRENDS-MOI, SEIGNEUR, A BIEN USER DU temps que tu me donnes pour travailler & à bien l’employer sans rien en perdre. Apprends-moi à tirer profit des erreurs passées sans tomber dans le scrupule qui ronge. Apprends-moi à prévoir le plan sans me tourmenter, à imaginer l’œuvre sans me désoler si elle jaillit autrement. Apprends-moi à unir la hâte & la lenteur, la sérénité & la ferveur, le zèle & la paix. Aide-moi au départ de l’ouvrage, là où je suis le plus faible. Aide-moi au cœur du labeur à tenir serré le fil de l’attention. Et surtout comble Toi-même les vides de mon œuvre : : Seigneur, dans tout labeur de mes mains laisse une grâce de Toi pour parler aux autres & un défaut de moi pour me parler à moi-même. Garde en moi l’espérance de la perfection, sans quoi je perdrais cœur. Garde-moi dans l’impuissance de la perfection, sans quoi je me perdrais d’orgueil. Purifie mon regard : quand je fais mal, il n’est pas sûr que ce soit mal & quand je fais bien, il n’est pas sûr que ce soit bien : Seigneur, ne me laisse jamais oublier que tout savoir est vain sauf là où il y a travail. Et que tout travail est vide sauf là où il y a amour. Et que tout amour est creux qui ne me lie à moi-même & aux autres & à Toi : : Seigneur, enseigne-moi à prier avec mes mains, mes bras & toutes mes forces. Rappelle-moi que l’ouvrage de mes mains t’appartient & qu’il m’appartient de te le rendre en le donnant. Que si je fais par goût du profit, comme un fruit oublié je pourrirai à l’automne. Que si je fais pour plaire aux autres, comme la fleur de l’herbe je fanerai au soir. Mais si je fais pour l’amour du bien, je demeurerai dans le bien. Et le temps de faire bien & à ta gloire, c’est tout de suite : : Amen : : 

d'après un fac-similé de Daniel Botti, foto2.fr