jeudi 17 novembre 2011

La femelle adorée du merle noir


« Mais voilà, dans la vie, on fait des erreurs, il faut savoir se relever. C'est la première chose que j'apprends à mes enfants. » ETHAN HAWKE, Libé du jeudi 17 novembre 2011, page 30, à propos de son divorce avec Uma Thurman qu'il a trompée avec la nounou épousée ensuite et bientôt, à son tour, maman de ses nouveaux enfants.

ADRIEN. — L'art de se relever, de résister, est-il en rapport avec la peinture de l'invention, le roman de l'imaginaire, la danse de la création et l'obsession insupportable du moi contre soi ? Les harmonies, les échos des sentiments et des élans entre nous, luttes de pouvoir quasi musicales, sont le cadre ouvragés des pulsions dramatiques de la fiction, du rien, du vide, comme une pluie fine, douce, dans l'humus des provinces et des parisiens ce matin au Café le Bariolé après avoir déposé les enfants à l'école, Gena, Szergueï, Laurent, Solange, Alex, dessinant un paysage qui les absorbe…

SZERGUEI. — Se relever est une gymnastique quotidienne qui maintient sinon jeune, du moins attentif. Après, il faut se tenir debout, c'est une autre affaire.

ADRIEN. — Quelle gymnastique de l'attention ? Et les pulsions seraient une question, peut-être un moyen de se relever, de revivre, de vibrer à l'unisson avec la vie, et avec soi entre le possible et ce qui ne l'est pas, et tout ce qui s'effiloche ? Ces questions mériteraient une réponse après études qu'il est certes trop facile de bâcler ou d'ignorer. Je marcherai dans Paris au hasard. Puis je tombe sur la ligne 9, je ne le savais pas, qui me mène à la station Buzenval, ou Nation.

LA FEMME. — Et le hasard te conduira chez moi ?

ADRIEN. — Je me suis installé dans ton nid douillet, merle noir attendant merlette. J'ai ouvert les fenêtres, croisés mes jambes sur le canapé orange pour t'écrire et chanter mon amour en attendant, ma vie, l'instant présent désormais délivré. Merlette quittant son cours de chant, femelle adorée du merle noir à sa recherche.

LA FEMME. — Tu dessines avec les mots ; cette image, ce café, laisse-moi digérer. J'ai même acheté Libé ! Et demain, je reçois le Figaro du week-end, j'aurai donc les programmes d'Arte et je verrai bien tout ce que tu fais là-bas dans la journée.

ADRIEN, lisant. — « Les gens cabossés, blessés, fragilisés font les bons rôles. Surtout les hommes, car il y a beaucoup de pose chez eux. L'intérêt est de découvrir ce qu'elle cache. Les bons acteurs vous font toujours voir ce qu'il y a derrière la façade. » Attends, plus haut il y a une autre citation : « Quand j'ai compris que le film qui devait me donner des millions de fans ne serait vu par personne, j'ai pensé que c'était de ma faute à moi, parce que je n'avais pas été assez bon. Et ça m'a guéri de toute prétention. »

LA FEMME. — Quand voleras-tu de tes propres ailes…

ADRIEN. — « Depuis mon divorce, je suis revenu au théâtre, qui demande plus d'humilité que le cinéma et qui me donne une vie meilleure. »

LA FEMME, soudain paniquée. — Je suis très triste que mon angoisse ait pris le pas sur la joie que j'ai d'être avec toi, de te l'avoir fait subir, d'avoir mal réagi et que tu sois parti. Tu m'envoies plein de bonheur et d'amour que je n'ai pas su recevoir alors que nous avons tant besoin de nos bras, de notre soutien l'un et l'autre. J'aimerais te le dire avec toute ma tendresse et mon sourire.

SZERGUEI. — La vie te paraît insupportable, sans lui, certes, mais également avec lui, chaque jour, chaque nuit, c'est ça qui est terrible et fatiguant : tu le vois comme ton ennemi, ton point de vue quand vous êtes ensemble, en vacances, en semaine, et les week-ends. Cette situation ne lui convient pas.

ADRIEN. — Je n'ai pas à l'accepter, même si je ne sais quoi dire, ni quoi faire, puisque je suis amoureux… Une fois passé les tunnels d'angoisse et de souffrance, le temps et surtout le présent redeviendront-ils mon ami, et le tiens, notre bel allié ?

LA FEMME. — Tu as besoin d'une femme pour vivre heureux et libre !

ADRIEN. — Non pas pour me faire la guerre ou se sentir en permanence comme à l'école.

SZERGUEI. — Mal aimée, suspecte, agressée et sans cesse remise à l'ordre…

ADRIEN. — Et inversement pour vivre sous ton oeil critique, insatisfait, suprêmement réprobateur, impérieux et jaloux, c'est absurde, c'est insensé. Ce n'est pas ce que j'appelle un couple d'amoureux.

vendredi 4 novembre 2011

Topless Gender

infrarouge.chAlexandra Shevchenko, économiste et co-fondatrice de Femen :

« Lorsque n'importe quelle fille va protester, elle devient belle ; lorsqu'elle est topless, lorsqu'elle enlève ses chaînes, elle devient belle, magnifique, à l'intérieur et à l'extérieur. »

Une autre membre de Femen dans un spot quelques minutes plus tard :

« La grande différence entre les féministes occidentales et nous, c'est que nous assumons pleinement notre féminité : nous en faisons une arme de guerre ! En Occident, elles rechignent à utiliser leur corps et leur beauté pour atteindre leur but. J'espère que dans un avenir proche, on parlera des féministes comme des femmes belles et séduisantes, et non pas comme des femmes voulant ressembler à des hommes, reniant et dévalorisant leur féminité. »

Salika Wenger, conseillère municipale à Genève, à Femen :

« N'avez-vous pas l'impression que l'on vous regarde plus que l'on ne vous écoute ? C'est là que je suis un tout petit peu gênée. »

Salika exprime-t-elle sa peur en tant que femme ? Est-elle moins jolie qu'Alexandra, vraiment ? Est-ce un problème, le motif d'une guerre possible entre les femmes et les hommes ? Relisons notre manuel de développement personnel, p. 105 :

« […] Le guerrier possède le contrôle. Il ne s'agit pas de contrôler d'autres êtres humains mais ses propres émotions, son propre moi. C'est lorsqu'on perd le contrôle qu'on réprime ses émotions. La différence entre un guerrier et une victime, c'est que cette dernière réprime ses émotions tandis que le guerrier les réfrènes. La victime les réprime parce qu'elle a peur de les exprimer. Se réfréner n'est pas la même chose que de réprimer. Se réfréner signifie contenir ses émotions puis les exprimer au bon moment : ni avant, ni après. »

Don Miguel Ruitz est l'auteur des Quatre accords toltèques, Poches Jouvence, 2005, Thonon-les-Bains. Sur le même thème, il y a aussi cette nouvelle pièce de théâtre écrite par Nancy Hustion et créée à Lausanne ce mercredi 2 novembre, Klatch, avec Chloé Réjon, mais je crains que cette brouille entre les genres soient encore plus confuse et meurtrière sur la scène du Kléber-Méleau : Nancy et Philippe Mentha tombent dans le piège — et le public avec ! — de s'enfermer dans ce qu'ils veulent dénoncer. Nancy H* est-elle le clone, version intello, de Christine Boutin ? [Photos : Alexendra Shevchenko, et Klatch, créé le 2 novembre 2011 au Théâtre Kléber-Méleau, décor de Jean-Marc Stehlé.]

lundi 17 octobre 2011

Les deux faces mystérieuses de la peur


Quel beau métier que celui du théâtre, mystérieux et attirant dans sa simplicité, comme s'il suffisait d'ouvrir une montre suisse et d'en observer le mécanisme minutieux pour deviner ce qu'est le temps. « D'abord la scène, le décor, la matière, ensuite le texte, sa poésie rayonnante, raisonnant ou pas avec la mise en scène et les comédiens ! », semblent chuchoter ces images. N'est-ce pas l'inverse ? De l'un à l'autre sur l'échelle du temps, parents-enfants sans discontinuité, auteur, metteur en scène, comédiens, nous nous trouvons par les mots et nous réunissons pour sentir la chaleur entre nous, créer la surprise inouïe d'un nouveau visage, un nom à trouver sans dissemblance entre les caresses de maman, sa musique omniprésente, la barbe nouvellement abrasives et les rires solidaires de papa. Vladimir, le beau-frère de Laure, qui a l'âge de Lucien, commence cette années des études d'urbanisme et de géo-socio-politique dans une école à Créteil. « Gaston Bachelard prétend que l'espace, c'est du temps condensé », nous dit-il en rentrant de l'anniversaire de Lucile à Magny-le Hongre, la maman de Laure et Solène, hier, sur le quai du RER pour Paris à la nuit tombée. L'espace est-il une sorte de photographie du temps ? Vladimir se poste avec ses camarades sur la Place St-Paul dans le 4e arrondissement à différentes heures de la journée et saisons de l'année, puis en observant le flux des passants ils prennent des notes qu'ils collationnent aux devoirs des élèves qui les ont précédés dans cette classe, à la même Place St-Paul. L'espace serait-il une abstraction non réaliste, un instant donné sans rapport avec aucune vérité sinon celle de l'objectif, du contingent, du fugace mais surtout de l'absurde sans amour, dont nous nous saisissons pour construire le monde dans une fuite ou la domination, ou les deux à la fois, comme les deux faces d'une même peur ? [Photos, Nancy Huston au Théâtre Kléber-Méleau, Lausanne, première le 2 novembre 2011, avec Chloé Réjon, décors de Jean-Marc Stehlé, kleber-meleau.ch]

vendredi 14 octobre 2011

La mort de Saint Juste

Qui donc écrivait :

« L'art du samouraï, c'est la patience et la force de transformer chaque mauvaise nouvelle, systématiquement, en bonne nouvelle. C'est l'art difficile de savoir accepter la contrainte sur le chemin de l'élévation, modifiant et poursuivant ce mouvement sans faillir et sans perdre la face, jamais, nulle part, sachant néanmoins que cela demeure possible et s'y préparant sans y penser. C'est l'art et la patience de n'ignorer et de n'oublier aucune fleur fanée faisant partie de l'Histoire, aucun diadème dans les palais, aucun grain de sable en suspension dans l'air, ni aucun bouton de rose au fond du caniveau. Le cœur blessé du samouraï, c'est son ultime force et son attention décuplée, miraculeuse, d'homme vivant ! »

Est-ce Lear à Cordélia dans la nouvelle traduction de monsieur Y, inédite ? Paul dans Je suis l'Indien donné en lecture le 5 mai 2010 chez Karen et Neil Gurry à Belleville, à l'intention de Louis Yerly qui a construit la Tour
Vagabonde ? Pascal Greggory s'adressant à Vanessa Aiffe dans un film réalisé par Bruno Joseph Roy ? Est-ce le Capitaine Forban de la ThSV ce dimanche chez Charlotte-Rita Pichon, Lyazid Khimoum s'inventant Laure Carrale comme une alliée et la meilleure amie du monde ?

[Le meurtrier s'était réfugié dans une église. A l'extérieur, le peuple de Lyon criait A mort ! et menaçait d'incendier l'édifice. L'évêque intervint auprès des autorités. Il reçut l'assurance formelle que l'homme aurait la vie sauve. L'assassin consentit alors à se livrer. Il fut jugé et exécuté. Saint Juste n'avait qu'une parole, pour lui un oui était un oui, un non un non. Il ne supporta pas d'avoir été complice, même involontairement, de la mort d'un homme qui bénéficiait du droit d'asile. C'est ainsi que Saint Juste mourut dans un désert d'Egypte dans les premières années du Ve siècle. Il est fêté ce jour, le 14 octobre.]

jeudi 15 septembre 2011

La réponse de mon oncle Benjamin

Chers auteurs, je viens de lire — avec stupéfaction — votre texte Dans le bain d'Hector. Ce travail ne ressemble à rien de ce que j'ai pu lire dans ma trop longue carrière !

Est-ce un vaudeville revisité par un intello particulièrement cultivé ou une farce philosophico-politico-burlesque rêvée par ce même intello ?

Etant toujours soucieux d'aborder la comédie sous l'angle d'un minimum de réalisme, je suis malheureusement hors de portée de l'esprit de ce texte. Je n'y trouve ni vrais caractères, ni vraies situations — j'ai toujours préféré Chaplin aux Marx ou aux Monthy Python —, je ne vois pas très bien ce que je pourrais apporter à ce texte. Je pense d'ailleurs que ce travail aurait plus sa place dans l'édition que sur une scène ou un plateau de cinéma.

Pardon de ne pas répondre à votre confiance qui, néanmoins, me touche profondément.

EDOUARD MOLINARO,
vétéran de la Nouvelle Vague
Paris, mercredi 14 septembre 2011

mardi 12 juillet 2011

Lecture en Avignon

Lecture ce MERCREDI 27 JUILLET à 19h00, Ecole du spectateur, entrée au 2 rue Saint-Michel, place des Corps-Saints, Avignon centre :


La théorie du sable et de la vague
une histoire du Mousse et de son Capitaine, Forban le pirate
avec Laure Carrale et Jom Roniger

Le destin n'est plus écrit entre le Mousse et le Capitaine Forban, seulement ce festin entre eux sous la vague improvisée, la dernière vague écumant de joie, de rage, avant de se lancer... Durée, 58 minutes. Une pièce de Jom Roniger & Pauline Tanon. Infos et réservation au 06.24.42.17.07 - [Prochaine lecture publique parisienne à la rentrée, en septembre-octobre, avec Yann Collette & Adrien Paolini sous la direction de Caterina Gozzi.]

yanncollette.com
http://www.theatreodeon.fr/fichiers/t_downloads/file_457_DF_Dimitriadis_3.pdf

lundi 27 juin 2011

L'écriture-talisman

C'était horrible ce matin à la médiation. Nous avons mimé la scène du crime, j'ai rejoué la scène quand S* me frappe, les rôles inversés puisque je suis un écrivain de GENDER FICTON — le médiatrice faisait des ronds avec ses yeux en criant : « Monsieur, non Monsieur ! » —, et de prévoir un RV cette semaine chez un notaire afin d'estimer les dégâts entre 10'000 et 50'000 €, un accord au sujet du rachat du studio, avec ou sans plus value l'homme n'est pas une banque. S'il y a un psychiatre valide sur scène à Paris, dans la salle, il servira d'arbitrage jusqu'au magnifique K.O., à la Scott et Zelda Fitzgerald, après douze ou treize rounds sur vingt-quatre ans… Les poches vides et l'âme en peine, à la rue, le Minotaure à New York m'ouvrira sa porte et nous fairons les comptes. En attendant, là, au Chat Noir ce lundi, il est midi, je sirote un demi pour me calmer... Caliente à Belleville ! Le chat jaune ne passe pas inaperçu, mais reste une énigme, Jom. Gender fiction, une femme faite homme pour danser, rivaliser avec lui, et inversement.... Vue du studio une semaine avant les vacances d'été sans mes enfants en juillet, plan serré sur les derniers volumes du journal — Naissance et renaissance au studio, IV, L'homme domestique, V, etc.et les neuf tomes de la Correspondance Générale, quand la fiction est une frontière, une illusion à revoir et à briser dans la réalité, que le don de soi, la présence, les échanges et l'attention transcendent et enrichissent. Les connaissances académiques, rationnelles, relationnelles, s'animent sous l'influence d'un ordre initiatique et ainsi parlons-nous, alors, d'écriture-talisman.

lundi 13 juin 2011

Message à François Regnault

De Lausanne à la Pentecôte ce lundi 13 juin, je relis ton message François. As-tu lu le livre de Franck Demules ? Il m'a dit qu'il t'a envoyé Un petit tour en enfer, l'as-tu reçu par la poste ? L'homme est venu avec sa fille à la lecture, Pandora, qui est voisine du Chat Noir, ainsi que du studio-garçonnière où je vis… Cette première lecture, 19h30 mardi 31 mai, était un succès. Il y avait un réalisateur de Arte, François Vautier, qui travaille avec le scénariste de Claire Denis, l'amie de Koltès sur la fin, d'après ce que j'ai compris, pour le dernier voyage en Afrique, au Portugal, je ne me souviens plus. Le réalisateur a eut ces mots :

« Merci J*, c'était prodigieux ! »

Tu y crois, toi ? Ben si, prodigieux, c'est ce qu'il a dit… Peut-être travaillerons-nous ensemble à partir d'un fait divers dans un journal, comme Truffaut, Libération en l'occurrence, en février, que j'ai sélectionné et adapté pour lui. C'est devenu une série de Sonates italiennes pour une fuite. L'histoire d'un type dans un bureau — Pascal Greggory ? —, interrogé par une équipe de spécialistes tandis que personne ne parvient à savoir ce que sont devenus ses deux enfants, sinon en imaginant le pire. J'adore François Vautier, ce qu'il me raconte sur l'art contemporain quand il travaillait dans ce milieu, ses réflexions d'amateur de Science-Fiction, ses ambitions d'esthète obsédé par des images à vendre, comme un bon vieux catholique le dimanche. Il y avait un comédien libanais avec les yeux verts du narrateur dans les contes, Raymond Hosni, proche d'Adel Hakim au Quartier d'Ivry, qui a beaucoup aimé lui aussi :

« Qui disait que ce n'était pas du théâtre ? — Philippe Adrien, le directeur de la Tempête… — Et bien s'il avait été présent ce soir, cet homme-là aurait vu comme moi ce que j'ai vu ce soir. Jom, ce que tu écris est vivant, mobile, inattendu ! Merci Jom, c'est revigorant de voir ça ! La culture, c'est banal en France. Je sens ici une matière de contrebande, de la vitalité, une énergie à partager. Je ne comprends pas tout, mais je ne suis jamais perdu, c'est ça qui est bon ! »

J'observais la tranquillité mystérieuse de l'homme en me parlant, son esprit élevé autrement qu'au poison rationnel de l'Occident. Au coin d'une rue au hasard à Belleville, fumant sur le trottoir, les bruits autour de nous étaient ceux d'un nuage cotonneux, comme dans un caisson noir, un utérus, plongé dans l'eau salée. D'un bout à l'autre de la soirée, Franck nous payait des verres, distribuant son vieux regard triste et fatigué de pirate, et l'équipe artistique se régalait après l'effort. Avec sa veste en forme de cape brouillant les cartes et l'attention de Laure, ma comédienne dont le gabarit est celui d'un garçonnet, d'un oiseau grisé à la folie et l'intensité d'Isabelle Huppert, la confession de Franck était un hommage :

« Toi, petite chanteuse, tu me donnes envie de lire avec toi sous des sunlights anonymes ! »

Laure citant l'Ave Marie Stella de Genet dans la cave du Chat Noir nous avait fait vibrer à la première lecture, un moments rock & roll de la soirée. La seconde, celle de 22h00, à laquelle participaient Jean-Marie-le-psychiatre — le copain de François Sauvagnargues, Arte —, Benjamin-le-cuisinier, et Jérôme-le-spécialiste-du-Talmud, fut plus terrible, plus froide. Les comédiens étaient-ils finis, brûlés par une grâce impossible à retrouver ? Le doute s'insinua dans l'esprit de Bastien qui faisait Forban, Bastien d'Asnières — cf. Avant que j'oublie de Jacques Nolot, la petite gouaille pour enculer JN et palper le billet jaune en échange. Nous avons perdu une bonne demi heure en attendant Louis-Do qui devait venir après une journée de tournage. Comme j'aime beaucoup Louido, j'ai pris sur moi de faire attendre les comédiens, mais c'était une erreur de les faire ainsi mariner dans la soupe froide de l'angoisse. L'admirateur d'Andrea Montegna au Louvre lors de notre première rencontre devant la Comédie Française pour lui remettre Dans les yeux turquoise du Minotaure, fataliste du goût royal relativement à l'école de la République, Louido ne vint jamais… La demi-heure en bas ce soir-là, dans le froid, eut raison de l'enthousiasme artistique des comédiens et de leur volonté. Adorable princesse Messidor, Laura ce 31 mai 2011 entre 22 et 22h30, Marie-Antoinette étendue sous mon imperméable pour se tenir chaud, ignorant les trente-huit ans réglementaires et historiques de la reine en 1793, semblait attendre le coup de guillotine trop tôt dans sa vie. Oui, la seconde lecture fut un désastre, le magnifique naufrage des ultimes tentatives, désespérées, sans foi ni loi. Caterina Gozzi, qui était là également pour le Bain d'Hector ce 29 mars, par ses critiques acérées de metteur en scène super douée — cf. Le vertige des animaux avant l'abattoir à l'Odéon… —, ses réticences de femme bien qu'élogieuses, dépeça la vieille carcasse de notre résistance et de nos efforts. Nous arrivâmes alors au point de non-retour, une heure après le dernier métro, les poches et l'estomac vide. Bastien, Laure et moi étions des proies faciles, Paris nous accueillant dans le silence de ses rues désertes et l'indifférence. Comment tenir dans de ces conditions ? Aucune nouvelle des producteurs Thierry Bizot, Laëtitia Gonzales, Yvette Mallet, Jacques Perrin, etc., concernant le projet Pascal Greggory, Je suis l'Indien, que doit réaliser Bruno Joseph Roy. C'est marrant, quand je discute de ce projet avec les décideurs, l'avis favorable de Pascal n'est jamais évoqué, comme si son travail et ses références depuis tant d'années n'avaient aucune valeur et ne signifiaient rien. Bizarre, non ? Comment expliques-tu ça, toi, François ? Comment séduire, convaincre et faire bouger les dominants, s'ils ne réagissent pas, autrement que par la violence ? A propos de Vengeances, Galliamard, Philippe Djian dans Le Matin Dimanche ce 12 juin 2011, p. 60 :

« Le rôle de l'écrivain est de travailler une langue, pour mettre au point un outil de communication le plus précis possible par rapport au monde dans lequel on vit. Si on n'a pas ce moyen de communication, on devient forcé d'utiliser ses poings. C'est là, le travail très important de l'écrivain. Jusqu'à la fin, je défendrai cette idée qu'un écrivain sérieux ne doit s'intéresser qu'à la langue. »

Ai-je assez travaillé mon outil de communication, le flux, mon attention, et la tempérance de mes émotions canalisées, tranchantes comme une lame ? Garder le cap, le couteau coincé entre les dents, tenir le choc de voir Pascal dans le Jom Fosse cet hiver au Théâtre de la Ville. Ce mec est un Tyranosaurus Rex, un prodige, un artiste hors pair. Comment pourrions-nous progresser si les producteurs et les directeurs de théâtre n'en conviennent pas ? Sont-ils aveugles et sourds ? PERSONNE n'osant aucun auteur vivant non publié, ils affirment d'une seule voix : Céline, Beckett, Genet, Duras, Koltès… un auteur mort est un auteur propre ! Cher François, la relecture de La théorie du sable et de la vague t'était dédiée ce jour. Ton amitié, l'avis favorable de Pascal, c'est la lune que je décroche et j'en suis heureux hors de toute proportion. La vie est ailleurs, traits inespérés dans la marge, nous y sommes. J'irai à la première mardi à Lausanne de John Gabriel Borkmann d'Ibsen, au Kléber-Méleau, par Thomas Ostermeier et Marius von Mayenbourg. Pour un budget d'environ 400'000 CHF. Je verrai bien s'il reste un ou deux billets roses entre les fauteuils, afin de me payer un sandwich. Si je ne trouve rien, j'aurai une autre idée, pourquoi s'en faire ?
Jommfully yours

samedi 4 juin 2011

Lectures du mardi 31 mai 2011

La théorie du sable et de la vague, par Pauline Tanon & Jom Roniger, avec Laure Carrale et Bastien d'Asnières dans les rôles du Mousse et du Capitaine Forban. Une pièce en hommage à celles et ceux qui préfèrent la vie à toute autre action dans la vie, sans pour autant se négliger et négliger quiconque. Réaction d'une spectatrice à la séance de 19h30 :

« Merci à vous quatre, de nous avoir offert cette lecture audacieuse, hors des sentiers communs. Ça fait du bien de savoir que de belles âmes sont là pour nous faire ressentir des émotions latentes qui, grâce à la magie de l'écriture, viennent nous surprendre, parfois, là où personne ne s'y attend. Des bises sablées derrière le hublot :-) Sibylle. »

Lectures au Chat Noir, 76 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris, à 19h30 et 22h00, mardi 31 mai 2011. Durée, 58 minutes.

mardi 22 mars 2011

Lectures du mardi 29 mars 2011

Hector, peintre en bâtiment, et Gena, une intellectuelle, vivent ensemble à Belleville. Le couple ne compte plus les années, sauf l'âge de leurs deux enfants. S'ils ont parfois le sentiment de ressembler à une vieille paire de chaussettes dépareillées, à deux morceaux de carne sur une barque toute pourrie prenant inexorablement l'eau et se craquelant en leur donnant des maux de tête, ce n'est pas faute d'avoir tout essayé : le yoga, la boxe, le sexe à outrance, les drogues, etc. Pour combattre l'ennui et son mal de vivre,
ses maux de ventre et les nuages gris sous sa tignasse d'ébouriffée, Gena s'invente alors Adrien, un jeune homme follement amoureux d'elle. L'adultère serait-il un moyen de reprendre espoir devant son ordinateur, les barquettes congelées du vendredi, la DS de son fils de neuf ans en chaise roulante et le journal fleur bleue de sa fillette dont, à douze ans, la maturité la dépasse largement ? Dans ce coin retiré de France, parce que sans tabous ni plus aucun jugement, le moment du bain vient rompre la monotonie et la déprime, les frustrations, comme par magie switcher le ménage et les conférences en histoire de l'art qui ne sont plus un devoir, l'achèvement d'un doctorat qui sonnerait l'entrée, l'intronisation d'Adrien comme au cœur du saint Graal, dans le monde des adultes… Par son indéfectible présence, Hector est un axe autour duquel oser tourner et se chamailler, pleurer et revivre, Gena le sait depuis toujours… Peut-elle sauter dans le vide, hors de sa coquille, pour aller danser la zoumba sur les toits de Belleville, main dans la main avec son nouveau sex lover, en oubliant, en guise de berceau à leurs amours, les escaliers misérables d'Edith Piaf, les enfants, l'angoisse, Heidegger, et tout le reste ? La belle-mère, la chatte à nourrir, les chèques en bois impossibles à emboîter les uns dans les autres, le quotidien, Gena elle-même, lentement tout s'harmonise dans ce tableau mouvant comme un taxi dans la nuit filant entre deux courses sous la pluie. Quelle signification donner finalement à l'amitié d'Hector pour Adrien ? A demi inconsciente sur la banquette arrière du taxi pour soi, A quoi songent-ils tous les deux ? s'interroge Gena, Que signifient ces mots vulgaires entre nous ?… Dans le bain d'Hector, un ami dont vous êtes le héros, comme une éraflure dans le temps, un hasard, une bizarrerie que Descartes lui-même ne saurait expliquer.

Dans le bain d'Hector, par Virginie Gimaray & Jom Roniger, 76 Jean-Pierre Timbaud, M° Couronnes, café Le Chat Noir, mardi 29 mars. Distribution :

GENA, écrivain et conférencière, Vanessa Aiffe
HECTOR, son mari, Lyazid Khimoum
ADRIEN, son jeune amant, Bastien d'Asnières
BEATRIX, une jeune femme, Laure Carrale

Lecture à 19h30, seconde lecture à 22h00, durée : 1h20 environ — [Bernard-Marie Koltès, janvier 1986, Une part de ma vie, p. 59, Les Editions de Minuit, Poche, septembre 2010 :

« Je suis le premier à admirer Shakespeare ou Tchekhov ou Marivaux et à tâcher d'en tirer des leçons. Mais, même si notre époque ne compte pas d'auteurs de cette qualité, je donnerais dix Shakespeare pour un auteur contemporain avec tous ses défauts. »

Bientôt dans une salle à Belleville, racontant l'histoire du mousse et de son capitaine : La théorie du sable et de la vague, par Pauline Tanon & Jom Roniger ; en préparation, Je suis l'indien, avec Pascal Greggory, un film de Bruno Joseph Roy.]