jeudi 1 juillet 2010

Portrait de la femme cubiste


esquisses

1 — Ce que je représente n'existe plus. Que la jeune fille, et l'homme à maturité. La femme archaïque n'existe plus. Que la chaire pour enfanter, et la chaîne des générations. Je n'existe plus : j'ai envie, je me sens vide, mais il ne faut pas me toucher. Est-ce mon imagination ? Je veux rompre la chaîne des générations. L'homme existe, mais la femme, elle, n'existe plus. C'est bien trop dangereux une femme. L'amour me trouble, car je suis souffrante et désaxée. Je suis cassée. Je suis le portrait exsangue de moi-même. Je suis la femme cubiste. Je me sens comme une femme dans un tableau cubiste de Pablo Picasso. C'est moi, délibérément, qui me suis cassée. Dans Le Monde du lundi 28 juin, Nancy Huston souffre D'une étrange cécité. Ce sont les Nouvelles invisibles de l'Iceberg intérieur, invisibles forcément, il n'y a rien d'étrange, comme si le combat était d'avance perdu, et Nancy est devenue sourde. Je me sens brisée en mille morceaux. Le désespoir de notre société s'est insinué en moi, comme une graine et je fleuris, et je me flétris. De l'intérieur, j'implose. Je suis un morceau de carne découpé sur un étale. Ainsi découpée en mille morceaux, il n’y a plus personne… La pulsion vient de l'intérieur, mais je n’en ai plus, car je suis absente à moi-même. Le désir vient de l'extérieur.


2 — Je suis un steak froid découpé par le désir : seule la ferveur de l'artiste, penché sur moi à bonne distance, me redonne vie. Son regard et son désir pour m’animer. Mais le temps passe et je finirai par moisir sur place si personne ne vient me rechercher. Je suis la femme dans le Complexe du Minotaure. Je suis incapable de prendre position entre mon père, mon mari, et mon fils si j’en ai un. Comme un escargot sorti de sa coquille, absolument démunie, j’ai quitté la maison. Je pensais que j'étais une femme, or je ne suis que la caricature d'un homme puissant. Je cours derrière moi-même comme derrière la calèche du conte. Je veux me comparer à la force des chevaux, à la beauté désuète des fauteuils dans la calèche, alors forcément comme je n'y parviens pas, comme je ne suis ni un cheval ni un objet de luxe, je me sens nulle. Pire : je m'identifie à l'ânesse du conte sur la photo. Je me sens poilue, grise, inutile, sale et inappropriée. Ce sont mes fesses et mes seins parlants de moi. Nous ne sommes pas assez gonflés. Au Louvre, dans la grande galerie, je me focalise sur les attributs évoqués et glorifiés d'une toile à l'autre. Qui suis-je, au fond, tout au fond de la grande galerie ? Mais puisque je suis le Portrait de la femme cubiste, au Louvre forcément, je me suis perdue. Je suis Nora dans Une maison de poupée, Enid et Garance Dans les yeux turquoise du Minotaure, ou même Thésée, tout au fond de mon labyrinthe. Je suis Calia. Je suis l'Indien. Je suis une Indienne sur son cheval. Je devrais chercher ailleurs, faire appelle à quelqu’un d’autre que moi-même pour me surpasser et me sauver, mais personne par-dessus mon épaule et les murs du labyrinthe pour me regarder et m'atteindre. Leurs voix dans la rue sont comme des fantômes incapables de me toucher. Je ne les entends pas, et je ne les vois pas. S'il existe un homme pour m'aimer, je m'imagine qu'il est aussi nul que moi. S'il me méprise, docilement, je pense après lui : Je suis méprisable, je suis une femme. Son dégoût de moi me justifie et je demeure dans le noir, dans mon lit, enfermée en moi-même. Sur les murs de ma vie, j'esquisse mon portrait. De tendres couleurs, Melancholia… Il y a un homme devant moi. Il tire la langue, il me désire. Alors je le regarde souffrir. J’aime ce spectacle. Je suis la femme cubiste. Si quelqu'un me trouve belle, je veux qu'il souffre, comme moi. Je pensais que j'étais une femme, or je ne suis qu'un portrait de moi-même sous les doigts d'un homme. J'ai enfin compris le titre de la pièce de Tennessee Williams. Je suis une Chatte sous un toit brûlant. Nuance, un doigt. Une chatte sous un doigt brûlant. Le doigt brûlant du magicien, et du mystique. Je suis vulgaire, je suis le portrait d'un autre que moi-même, à dire vrai, je le sais.


3 — Je cours derrière mon identité comme derrière une calèche ou un Tramway, dit le poète. Sur une scène de théâtre, au Louvre, dans les repas de famille, sur les quais le dimanche, n’importe où dans Paris aujourd’hui, je ne m'aime pas… Aucun homme ne peut m'atteindre, mais te voir souffrir, et tirer la langue devant moi, oui, j'aime ça… Pourquoi suis-je la femme cubiste ? Parce que j’ai plusieurs angles. Si un homme me désire pour ma beauté, je veux qu'il souffre avant des années, comme moi, dans un espace exsangue et la fortune de mon vagin comme un tableau cubiste. Etc. Et de connaître, avant son envole, ce qu'il faut de pesanteur à la légèreté. Par curiosité ou par ennui. Le poète est le seul à oser couper la branche sur laquelle il est assis. Une fois qu'il sera tombé, cet été 2010, je l'emmènerai avec moi. Sur une plage, au soleil, pour le requinquer. I don´t care if it´s a very small room or a big chateau, as long as he’s in it.