« Et
si tous ceux qui ont accès à la parole publique ne prennent pas leur part de
risque, alors les barbares ont gagné. » Dans le film L'Humour à mort, Elisabeth Badinter.
DEVOIR DE FRANÇAIS | CONSIGNE
| à travers les yeux d’une personne qui
ne connaît pas cet endroit, décrire une journée type dans la cour du collège
Jour d’inspection au Collège
Dolto dans le XXème. Rendez-vous avec les professeurs, je me
dépêchais. « La salle des maîtres
est dans le bâtiment B, m’indiqua un AED [Assistant d’Education
Disciplinaire], il faut traverser la cour…
si vous en avez le courage ! » Une odeur fétide, en effet, me
saisit à la gorge en pénétrant dans cet espace que quatre ou cinq marronniers
ne parvenaient pas à égayer : terre sauvage en plein Belleville, ce coin
de béton misérable n’était pas la jungle amazonienne, mais un cloaque immonde
laissé à l’abandon par le Rectorat de Paris. Vérifiant que la porte de sortie
restait accessible, derrière moi, j’osai quelques timides pas à l’intérieur de
cet espace clos divisé en zones : le foyer avec les armoires pour les
cartables, les toilettes et l’entrée de la cantine. Victime d’une furieuse
envie d’uriner, je choisis les toilettes comme premier lieu d’exploration.
Elles étaient composées de six pissotières accrochées à un mur crasseux, plus
deux toilettes isolées, sans papier, sans verrou aux portes. Pas vraiment
l’endroit rêvé où se détendre. Rares étaient les personnes à pénétrer dans ces
égouts à ciel ouvert, inutile de traîner, je préférai rebrousser chemin,
car j’avais la nausée. Dehors, en m’appuyant contre un arbre pour vomir, je
constatai que le sol était couvert d’emballage de bonbons. Des élèves avec des
casquettes à l’envers et le pantalon qui descend, le slip visible, jouaient au
foot. Je traversai ce baby-foot géant en faisant attention de ne pas me prendre
de balle dans la tête. A l’entrée de la cantine, je notai que les élèves se
ruaient tels des animaux à l’étable. Il y avait des escaliers qui descendaient,
comme aux enfers, et d’autres qui montaient, un surveillant sensé trier les élèves,
garder l’étable et le premier étage, aussi vieux qu’un dinosaure mâchouillant
la cime des marronniers qui passaient par les fenêtres ouvertes. Il n’était pas
vraiment différent des autres, sauf que lui avait le droit de s’énerver, ce qui
donnait lieu à des jaillissements d’acidité verbale sans mesure avec sa taille
qui était petite. Ses vêtements était grotesques, comme ceux d’un singe dans un
cirque : un long ciré jaune, un parapluie dont il se servait de canne et
de fouet. J’étais outré de voir que ce petit singe colérique abusait de son
pouvoir et faisait souffrir les élèves en leur assignant des heures de colle
qui pleuvaient sur eux comme ses coups de parapluie. Ces groupes d’élèves me faisaient
pitié : même avec leur carnet « Demi-pensionnaire »
ou « Externe », signé par
leurs parents, la Direction ne leur permettait jamais sortir. Pour les en
empêcher, elle se cacherait toujours derrière la « Loi » et les principes de « Sécurité », comme dans ce fameux livre, Le Procès, écrit il y a longtemps, par un autre de ces élèves. Je dénichai derrière une poubelle éventrée
une vieille casquette déchirée que j’enfilai à l’envers, baissai mon pantalon,
tirai haut sur mon slip pour passer inaperçu et oser m’approcher d’eux. Mon
seul objectif : me fondre dans la masse. Ces élèves ne fréquentaient la
cour qu’à certaines heures, mais ces heures-là leur paraissaient bien longues. L’un
d’eux, geste de sympathie et solidarité, m’offrit un Coca et un chewing-gum
que nous dégustâmes à six, en le mâchouillant pendant dix secondes à tour de
rôle. Le comportement de ces pauvres petites personnes, livrées à l’ennui et à
la menace du vieux singe jaune, variait suivant les âges, les activités et les
cris : les plus jeunes poussaient des sons aigus en jouant à chat quand les
plus grands, assis sur les bancs à bavasser, campaient sur des notes plus graves.
D’après mes observations, je dénombrai trois espèces : les plus jeunes ressemblaient
à des chiots innocents ; ceux un peu plus âgés devenaient vite vicieux,
volaient les biens des autres et ces hyènes s’amusaient à frapper les plus
petits ; enfin les plus grands, avec qui je me tenais comme tombé dans un
trou résolu à ne plus rien faire, cloués au bancs, viraient flémards. Hébétés, geignant
sur les bancs comme des agonisants dans un hôpital sur les litières pouilleuses
de la République, ceux-là poussaient de longs cris langoureux. « Mmh ! Délicieux ce chewing-gum,
vraiment ! Et les madeleines aux pépites de chocolat industriel, vous avez
essayé ? C’est bon aussi. » Après cette réplique diplomate, je voulu
m’éclipser, mais l’un d’eux, plus vif que ses semblables, venait de m’attacher
au banc. Avec son air hébété, il me narguait. La bave coulait de sa bouche et il
s’essuyait les doigts sur ma belle chemise gouvernementale et officielle. Elle
était fichue, impossible de la ravoir, sa bave était acide. Une chemise d’Etat,
comment ce perfide escargot avait-il osé ? Mon vêtement officiel, dans un
état lamentable, était irrécupérable… Comme une médaille, il colla le
chewing-gum sur ma poitrine en rigolant et en me donnant un « steak ». Dans leur jargon, une
petite tape sur le haut de ma tête. Ma casquette virevolta. Comment allais-je me
sortir de là ? Leurs copains les gorilles à la raie des fesses visibles se
mirent à parler de plus en plus vivement entre eux, à s’énerver et à pousser
des cris stridents qui me glacèrent le sang : tous ne s’occupaient désormais
que de moi.
Dans un monde idéal, la
Direction et les professeurs avec qui j’avais rendez-vous ce matin, auraient
affirmé que le collège était une période importante dans la vie d’un
adolescent, ses salles de classes le lieu d’une initiation indispensable, bref,
quelque chose comme les portes grandes ouvertes d’un avenir radieux. Hélas, je
doute que je ne parvienne jamais à m’enfuir. Pour celle ou celui qui les lira,
je le sais déjà, ces notes seront mon dernier rapport avec la vie.
HERMAN & JOM RONIGER
Herman était en 4e1 au moment de ce devoir de Français noté en janvier 2015
Herman était en 4e1 au moment de ce devoir de Français noté en janvier 2015
[Photo : Brindille à Belleville, septembre 2015]