mardi 15 décembre 2015

Devoir de français niveau quatrième


« Et si tous ceux qui ont accès à la parole publique ne prennent pas leur part de risque, alors les barbares ont gagné. » Dans le film L'Humour à mort, Elisabeth Badinter.

DEVOIR DE FRANÇAIS | CONSIGNE | à travers les yeux d’une personne qui ne connaît pas cet endroit, décrire une journée type dans la cour du collège

Jour d’inspection au Collège Dolto dans le XXème. Rendez-vous avec les professeurs, je me dépêchais. « La salle des maîtres est dans le bâtiment B, m’indiqua un AED [Assistant d’Education Disciplinaire], il faut traverser la cour… si vous en avez le courage ! » Une odeur fétide, en effet, me saisit à la gorge en pénétrant dans cet espace que quatre ou cinq marronniers ne parvenaient pas à égayer : terre sauvage en plein Belleville, ce coin de béton misérable n’était pas la jungle amazonienne, mais un cloaque immonde laissé à l’abandon par le Rectorat de Paris. Vérifiant que la porte de sortie restait accessible, derrière moi, j’osai quelques timides pas à l’intérieur de cet espace clos divisé en zones : le foyer avec les armoires pour les cartables, les toilettes et l’entrée de la cantine. Victime d’une furieuse envie d’uriner, je choisis les toilettes comme premier lieu d’exploration. Elles étaient composées de six pissotières accrochées à un mur crasseux, plus deux toilettes isolées, sans papier, sans verrou aux portes. Pas vraiment l’endroit rêvé où se détendre. Rares étaient les personnes à pénétrer dans ces égouts à ciel ouvert, inutile de traîner, je préférai rebrousser chemin, car j’avais la nausée. Dehors, en m’appuyant contre un arbre pour vomir, je constatai que le sol était couvert d’emballage de bonbons. Des élèves avec des casquettes à l’envers et le pantalon qui descend, le slip visible, jouaient au foot. Je traversai ce baby-foot géant en faisant attention de ne pas me prendre de balle dans la tête. A l’entrée de la cantine, je notai que les élèves se ruaient tels des animaux à l’étable. Il y avait des escaliers qui descendaient, comme aux enfers, et d’autres qui montaient, un surveillant sensé trier les élèves, garder l’étable et le premier étage, aussi vieux qu’un dinosaure mâchouillant la cime des marronniers qui passaient par les fenêtres ouvertes. Il n’était pas vraiment différent des autres, sauf que lui avait le droit de s’énerver, ce qui donnait lieu à des jaillissements d’acidité verbale sans mesure avec sa taille qui était petite. Ses vêtements était grotesques, comme ceux d’un singe dans un cirque : un long ciré jaune, un parapluie dont il se servait de canne et de fouet. J’étais outré de voir que ce petit singe colérique abusait de son pouvoir et faisait souffrir les élèves en leur assignant des heures de colle qui pleuvaient sur eux comme ses coups de parapluie. Ces groupes d’élèves me faisaient pitié : même avec leur carnet « Demi-pensionnaire » ou « Externe », signé par leurs parents, la Direction ne leur permettait jamais sortir. Pour les en empêcher, elle se cacherait toujours derrière la « Loi » et les principes de « Sécurité », comme dans ce fameux livre, Le Procès, écrit il y a longtemps, par un autre de ces élèves. Je dénichai derrière une poubelle éventrée une vieille casquette déchirée que j’enfilai à l’envers, baissai mon pantalon, tirai haut sur mon slip pour passer inaperçu et oser m’approcher d’eux. Mon seul objectif : me fondre dans la masse. Ces élèves ne fréquentaient la cour qu’à certaines heures, mais ces heures-là leur paraissaient bien longues. L’un d’eux, geste de sympathie et solidarité, m’offrit un Coca et un chewing-gum que nous dégustâmes à six, en le mâchouillant pendant dix secondes à tour de rôle. Le comportement de ces pauvres petites personnes, livrées à l’ennui et à la menace du vieux singe jaune, variait suivant les âges, les activités et les cris : les plus jeunes poussaient des sons aigus en jouant à chat quand les plus grands, assis sur les bancs à bavasser, campaient sur des notes plus graves. D’après mes observations, je dénombrai trois espèces : les plus jeunes ressemblaient à des chiots innocents ; ceux un peu plus âgés devenaient vite vicieux, volaient les biens des autres et ces hyènes s’amusaient à frapper les plus petits ; enfin les plus grands, avec qui je me tenais comme tombé dans un trou résolu à ne plus rien faire, cloués au bancs, viraient flémards. Hébétés, geignant sur les bancs comme des agonisants dans un hôpital sur les litières pouilleuses de la République, ceux-là poussaient de longs cris langoureux. « Mmh ! Délicieux ce chewing-gum, vraiment ! Et les madeleines aux pépites de chocolat industriel, vous avez essayé ? C’est bon aussi. » Après cette réplique diplomate, je voulu m’éclipser, mais l’un d’eux, plus vif que ses semblables, venait de m’attacher au banc. Avec son air hébété, il me narguait. La bave coulait de sa bouche et il s’essuyait les doigts sur ma belle chemise gouvernementale et officielle. Elle était fichue, impossible de la ravoir, sa bave était acide. Une chemise d’Etat, comment ce perfide escargot avait-il osé ? Mon vêtement officiel, dans un état lamentable, était irrécupérable… Comme une médaille, il colla le chewing-gum sur ma poitrine en rigolant et en me donnant un « steak ». Dans leur jargon, une petite tape sur le haut de ma tête. Ma casquette virevolta. Comment allais-je me sortir de là ? Leurs copains les gorilles à la raie des fesses visibles se mirent à parler de plus en plus vivement entre eux, à s’énerver et à pousser des cris stridents qui me glacèrent le sang : tous ne s’occupaient désormais que de moi.

Dans un monde idéal, la Direction et les professeurs avec qui j’avais rendez-vous ce matin, auraient affirmé que le collège était une période importante dans la vie d’un adolescent, ses salles de classes le lieu d’une initiation indispensable, bref, quelque chose comme les portes grandes ouvertes d’un avenir radieux. Hélas, je doute que je ne parvienne jamais à m’enfuir. Pour celle ou celui qui les lira, je le sais déjà, ces notes seront mon dernier rapport avec la vie.
  
HERMAN & JOM RONIGER
Herman était en 4e1 au moment de ce devoir de Français noté en janvier 2015

[Photo : Brindille à Belleville, septembre 2015]